N° 49-50 : Editorial

Jubilés et nouveaux défis missionnaires

La mission a une histoire, ponctuée de dates, de personnages et de contextes. Pourtant, sans remonter au fait ponctuel de l’envoi en mission des disciples par le Seigneur de l’Ascension ni du Nouveau Testament et de la Pentecôte, chaque étape particulière de l’évangélisation soulignera la présence du même Esprit à travers la variété et la diversité des détails de l’insertion. On s’en rend bien compte avec le recul du temps. D’où l’importance de la célébration de jubilés comme celui des quatre-vingt-dix ans de la présence des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée en République démocratique du Congo et du centenaire d’existence de l’actuel diocèse d’Isangi, dans la province congolaise de la Tshopo.

Des Missionnaires de Scheut aux Missionnaires Oblats de Marie Immaculée en passant par les Montfortains et les Frères de saint Gabriel voire les Sœurs Filles de la sagesse, le personnel missionnaire de l’Eglise d’Isangi aura partagé au minimum le même bilan des actes de l’évangélisation et de la mission centenaire. Sur quelles ressources spirituelles compter désormais, et comment préparer la relève missionnaire sans tabler sur le recrutement et la formation des vocations autochtones ? Assurément, une nouvelle ère s’ouvre sur de nouvelles bases, dans un contexte tout particulier.

Dans l’actuel diocèse d’Idiofa, l’évêque n’a pas manqué de souligner les défis hérités du passé mais qui se soldent dans les temps actuels. Les inconvénients des intempéries, l’inhospitalité des reliefs ne retinrent nullement l’avancée missionnaire. Au contraire. Les étrangers venus apporter la Bonne Nouvelle n’abandonneront pas. Ils iront jusqu’à subir la violence voire le « martyre ». L’abnégation des missionnaires est un témoignage de la vie qu’ils ont prêchée. L’évêque d’Idiofa ne peut qu’inscrire la violence comme problème pastoral pour aujourd’hui, notamment pour éduquer la nombreuse population jeune de son Eglise et du pays. L’évêque en a décidé ainsi dans la perspective de la célébration du centenaire du diocèse d’Idiofa en 2022.

Or, au regard de l’histoire, les nouveaux défis missionnaires ne sont-ils pas les mêmes qu’affrontèrent les Occidentaux arrivant en Afrique au dix-neuvième ou au vingtième siècle ? Et comment ne pas reconnaître qu’il en fut déjà ainsi plus tôt, au dix-septième siècle, par exemple ? Un repère plus datant du dix-septième siècle est évoqué ici avec le missionnaire capucin Antonio Laudati da Gaeta (1615-1662), qui a contribué à la deuxième conversion (retour à la foi catholique) de la reine Nzinga du Royaume Kongo.

Ainsi, avant l’élan missionnaire du dix-neuvième siècle, l’histoire donne à saisir le « mystère de la croix des sociétés africaines ». L’enjeu est certes de planter la croix du Christ dans l’espace africain et dans le cœur des Africains. Mais au dix-septième siècle, on se pose la même question qu’aujourd’hui, celle de l’humanité de l’Africain ou du Négro-Africain. Voilà une question philosophique et théologique qui concerne l’identité. Flavien Muzumanga le note : « D’après la Relation du P. Antoine, l’herméneutique biblique de l’identité du Noir nous conduit à l’affirmation selon laquelle l’Africain ne mérite pas d’être appelé un homme. Par ses affirmations, la Relation du P. Antoine Laudati ne se rend pas compte de l’impasse systématique dans laquelle elle s’installe. »

Flavien Muzumanga relève le préjugé anthropologique en montrant la négation de la fraternité anthropologique entre les Africains et les autres peuples du monde. On pourrait objecter ici en imputant « l’erreur » non aux « autres peuples » mais à un penseur particulier voire à un groupe de penseurs. L’objection devrait pourtant bien se prolonger pour montrer combien les penseurs individuels sont porteurs ou « victimes » de leur société.

L’histoire ramène ainsi la nécessité de la raison ou de l’articulation entre la foi et la raison. Et qui pense, en définitive, sinon l’individu ? Mais le penseur solitaire, aussi indépendant se croit-il, finira par être acculé à reconnaître et à payer sa dette vis-à-vis des autres. Et pourquoi n’arrivera-t-on pas, au bout du compte, à cet autre, l’Autre, initiateur de la mission elle-même ?

C’est vers l’essence de la mission qu’on s’orientera ainsi en cherchant l’attitude adéquate par-delà les contextes. Il faut bien se déterminer par quelque référence lorsque, par exemple, on considère que la mission n’est plus l’apanage d’une Eglise mais le devoir de toute l’Eglise dans ses différents segments et dans chacun de ses membres.

Dans l’ère de la mondialisation, au vingt-et-unième siècle, voilà des Africains devenus missionnaires à leur tour sur des terres étrangères. Les peuples et les terres réputés « missionnaires » sont devenus des peuples et des « terres de mission ». Le missionnaire aura compris, au fil du temps, qu’il n’a pas à revendiquer un rang supérieur, qu’il est un humble serviteur de frères et sœurs en humanité à aimer au nom de Dieu.

Jean-Baptiste MALENGE