N° 48 : Editorial

La générosité pour financer la mission

Une communication du Préfet de la Congrégation pontificale pour l’évangélisation adressée aux Conférences épiscopales le 3 décembre 2020 a déclenché l’émoi et la réflexion. Le Cardinal Luis Antonio Tagle explique que la crise sanitaire du coronavirus a causé une chute de collectes pour les Œuvres Pontificales Missionnaires (O.P.M.). Et il demande aux évêques qui le peuvent d’envisager de réduire voire de supprimer les subsides ordinaires qui leur sont dédiés chaque année par les O.P.M. et d’en faire profiter ainsi à ceux parmi eux qui seraient les plus nécessiteux. 1100 diocèses d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine seraient ainsi concernés par la générosité des donateurs, qui recueillent environ 25 millions d’euros par an pour servir de « subsides ordinaires » de la vie de diocèses dans le monde.

La diminution drastique des fonds ainsi envisagée donne l’occasion de revenir sur les questions de dépendance de la mission évangélisatrice elle-même. Et les questions de fond à poser touchent aussi bien l’appartenance à l’Eglise Famille de Dieu. Jusqu’à quand l’évangélisation de l’Afrique dépendra-t-elle de l’étranger ? La question paraît simple, mais elle porte tout le poids de l’identité même de l’être chrétien. On souhaite voir construire des églises, des écoles et des hôpitaux, former des prêtres et des catéchistes. Mais avec quel argent ?

L’animation missionnaire organisée notamment au mois d’octobre, mois missionnaire, fait prendre de plus en plus conscience du devoir de la prière pour la mission. De plus en plus, les évêques rappellent aussi que chaque chrétien doit contribuer au financement de la mission et que l’Eglise catholique vit de la solidarité de ses enfants.

Les Œuvres Pontificales Missionnaires, chargées de recueillir et de redistribuer le fruit de cette générosité à l’échelle mondiale, doit constater que les pays d’Afrique ne sont pas les plus pourvoyeuses, qu’ils figurent bien, en revanche, parmi ceux qu’il faut bien assister au risque même, parfois, d’asphyxie. Les diocèses et les congrégations religieuses sont bien incapables d’assurer eux-mêmes leur propre vie.

On peut ici rappeler que des grands séminaires, en RDC, ne peuvent simplement pas finir une année académique sans réaménagement du calendrier pour comprimer la durée des mois. Des évêques d’une province ecclésiastique se sont même accordés pour réduire le nombre des séminaristes à admettre par diocèse pour les deux grands séminaires de la province ecclésiastique.

Or, depuis des décennies, on a suffisamment démontré, par exemple, que la revendication intellectuelle de l’autonomie des Eglises sous tutelle ne pouvait logiquement tenir qu’en s’accompagnant d’actes concrets de progrès vers l’autonomie financière. Et des Eglises d’Afrique ne se sont pas laisser prier, elles ont décrété des mesures d’un processus de la « prise en charge de l’Eglise par ses propres fidèles ». Ce fut le cas dans l’Eglise de la République démocratique du Congo. En 1995, l’épiscopat a publié cette exhortation demandant application. C’est la pandémie du coronavirus qui semble imposer la réelle démarche pour la vie ou pour la mort. Et la réflexion doit accompagner.

Si la communication du cardinal Tagle ne laisse pas indifférent, elle a surtout le mérite d’un rappel. La question est peut-être aussi vieille que l’Eglise elle-même, depuis son fondateur lui-même. A un scribe qui promettait de le suivre partout, Jésus avait dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel, des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête. » (Matthieu 8,20). Saint Paul est tout aussi explicite s’agissant non seulement de sa propre capacité à subvenir à ses besoins mais aussi de la nécessité de la solidarité entre Eglises.

Anaclet Dupar a consacré toute une thèse de doctorat sur la question concernant les richesses dans la mission. L’article publié ici présente une théologie de l’économie. Il plaide pour un nouveau paradigme de compréhension du rôle des richesses dans la vie et la mission de l’Eglise du vingt-et-unième siècle. Anaclet Dupar se recommande des Pères de l’Eglise : Les pasteurs et théologiens des Eglises d’Afrique, en l’occurrence Augustin d’Hippone, Cyprien de Carthage et Tertullien, ont présenté une nouvelle perception de la production et de l’usage des richesses.

Raymond Ubemu attire plutôt l’attention sur le fait que « la tendance actuelle est de déconstruire la vision de la pauvreté́ religieuse dans l’être des consacré(e)s tout en reconstruisant un nouveau contenu à la pauvreté religieuse caractérisée par la recherche accrue d’une bourgeoisie personnelle comme tout autre nouveau citoyen du monde ».

La « nouvelle éthique mondiale » entend donc imposer un nouveau style de vie au consacré et au missionnaire. Or, il  faut  bien, dans la vie missionnaire, choisir un style de vie particulier, à adopter pour la mission. Jésus de Nazareth l’a fait ainsi. Ainsi vivent des missionnaires, désireux de marcher dans les pas de l’Envoyé du Père : ils ont sur les richesses un regard de détachement alors même qu’ils ont besoin de boire et de manger, de financer la mission.

Le style de vie, c’est celui qu’adopte le missionnaire et qui porte témoignage sur la valeur des richesses terrestres et sur l’essentiel qu’est le Royaume des cieux. Le style de vie est témoignage parce qu’il indique ainsi la richesse nécessaire. Voilà peut-être la pierre de touche d’un certain style missionnaire aujourd’hui.

En 1989, célébrant ses vingt ans d’épiscopat, le cardinal Joseph-Albert Malula fit certainement plus qu’enseigner sur le pouvoir spirituel exercé sur l’archidiocèse de Kinshasa. Lors de la messe jubilaire, quel cadeau demanda-t-il pour lui aux agents de l’évangélisation ? La pauvreté :

« L’Evêque est le père de son diocèse. La fête d’anniversaire est une occasion de se faire des cadeaux. Quel cadeau allez-vous me faire ? Je vous demande une petite chose mais qui est tout pour moi : LA PAUVRETE. La pauvreté de Notre Mère la Très Sainte Vierge Marie et la pauvreté de Notre Père du Ciel. (…) Je vous demande de m’obtenir la pauvreté du cœur pour tout attendre de Dieu, pour ne compter que sur Dieu. » (20ème anniversaire de l’ordination épiscopale du cardinal Malula, archevêque de Kinshasa, s.l., s.d., p. 30).

Jean-Baptiste Malenge

Université De Mazenod

jbmalenge@gmail.com